Le 26 mars  Mont Rogneux depuis Champsec en passant par le col de Mille et l'arrête Ouest 1970 m D+

 

Je pars de Sarreyer pour Arolla et je prends à gauche à Champsec ! :)  Y a des fois, faut pas se poser trop de question. Mes mains prennent des initiatives sans en toucher mot à ma cervelle pleine de vapeur de génépi.

Bonne nouvelle, je dois marcher 40 minutes dans les crocus avant de mettre les skis, Les oiseaux chantent à tue-tête... moi j'me tue les pieds et le manque de neige me tue tout court.

J'fais tout faux ce matin. je prend le chemin du bas et j'me retrouve tout en bas ! va falloir remonter les anciennes moraines de l'ancien glacier du Rogneux par une pente de 30° à grand coup de conversion. Mais au moins j'ai une vue magnifique sur ce qui m'attend... et ce sera pas de la tarte au pomme de Brunet.

Je me traine sur le faîte de la moraine en cogitant sur la droite ou la gauche et je pars au milieu sans passer par le col de Mille.

J'arrive à 2600m sur la crête qui mène au Rogneux et le vent de Sud me susurre d'enfiler mes gants, mon coupe-vent et de troquer ma casquette contre un bonnet. Décidément la suite me paraît peu confortable, c'est la première fois que je passe ici et le manque de neige rend la trace précaire, voire carrément craignos sur certains passages. J'insiste à passer les encoubles avec mes skis au lieu de tracer sur l'arrête à pince. Je sors même mon piolet du sac pour m'assurer et surtout pour me rassurer. J'en mène pas large et la fatigue commence sérieusement à me fatiguer. D'habitude je suis presque infatigable mais sur ce moment, j'en perd mes habitudes. Il me reste 350 mètres et je me suis toujours dit que quand il me reste moins de 300m, je n'ai pas le droit d'abandonner. Donc je me violente l'esprit pour faire encore 50 mètres ce qui m'oblige de facto à finir cette ascension.

C'est pas le moment de regarder le paysage, ni la vallée d'Entremont d'en plus bas.

Pas le temps de penser aux marmottes, aux edelweiss et à cogiter sur la vie d'en bas.

Je regarde droit devant moi, j'use de mes couteaux sur la glace, de mes peaux de phoque sur l'herbe rase et de mes bâtons pour garder l'équilibre.

Je me vois difficilement redescendre par le même itinéraire mais il est hors de question que je redescende par Brunet. Faudra bien que je trouve un passage dans la face Nord un point c'est tout. 

Je bisouille la croix du sommet, seul comme d'habitude mais je vois pointer sur l'arrête Est quelques zumains au taquet avec la tête dans le chrono ! Il est exclus que je réapprenne à parler l'homo sapien pour parler de la pluie et du beau temps.

J'en profite pour me défiler par la porte de derrière et retourner à mes skis que j'ai laissé une vingtaine de mètres sous le sommet.  Je ruppe une barre chocolatée avant de m'enfiler sous l'antécime en face Ouest, par ou je suis venu sur 150 m. et j'entrevois un échappatoire en face Nord. (que j'avais repéré en montant)

Ma meilleure décision de la journée clairement, même si la face est bien raide et ma fatigue bien présente, je suit une vieille trace ridée et fossilisée de mathusalem qui me guidera tout au long de la longue face Nord.

Au 3ème virage une plaque de glace cachée sous la petite couche de neige rouge me provoque une réelle frayeur mais ce ne sera qu'un avertissement.

La neige n'est pas la meilleure que j'ai eu cet hiver mais reste encore bien gérable. Mes cuisses chauffent dans cette descente incroyable. J'entrevois dans cette face de multiples couloirs, d'immenses possibilités à venir. J'ai l'impression de me retrouver dans un monde parallèle de freeride infini, cela fait plus de 10 ans que je chevauche ce Rogneux en restant à côté d'où il fallait être. J'en aurais pas fait le tour avant bien des années.

J'arrive à la cabane de Servay et je m'assied sur la marche en mélèze. Le temps s'arrête enfin.

Je dis sincèrement merci à cette montagne qui m'a accepté aujourd'hui et je lui explique tout bas que je resterais son ami fidèle encore quelques saisons.

La vue sur les Dents du Midi me rassasient de bien être, de calme, et de relâchement. Mes paupières se ferment dans une clémente somnolence de milieu d'après-midi. 

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