4 décembre 2022, Pointe de Combette

 

Quand le brouillard t’enveloppe, ton égo s'atrophie et ton chemin disparaît. L’horizon n’en est plus un, la verticalité est complètement chamboulée. Les spatules de tes skis sont les repères ultimes pour rester debout avec la tête en haut. D’une seconde à l’autre tu es perdu, un point c’est tout. Circulez, il y a plus rien à voir !

Inutile de connaître la course, la vallée ou de savoir ou est le Nord. L’été tu peux voir des cailloux connus ou que tu crois connaître mais l’hiver, sur son manteau blanc et immobile, tu es presque… mort…

Il y a une dizaine d’année, je me suis fait prendre par le brouillard sur le glacier de Cheillon, seul, sans GPS ni boussole. Lors de la première minute, tu penses pouvoir t’en sortir en visant la chaîne de montagne qui a disparu de ta vision mais après 5 à 10 minutes, le baromètre de ta vie c’est cassé la figure de moitié ! et après 15 minutes, tu es d’accord avec ton baromètre !

Aujourd’hui j’aime ce moment intense ou le brouillard s’insinue dans ma vie de l’hiver. En une seconde ma concentration se multiplie infiniment jusqu’à la totale plénitude. La solitude n’est plus factice, elle devient réelle et intense. L’instant présent devient impératif et t’enlève toutes autres pensées inutiles et moribondes.  Il n’y a que lors d’atterrissage en delta par conditions extrêmes que je retrouve cette situation si intense que tu en oublie le monde qui t’entoure. 

 

Grâce aux applications comme White Risk et au GPS, le brouillard devient ami et confident. Je lui parle gentiment pour lui montrer que j’ai de l’affection pour lui. Il faudra faire attention aux falaises qui t’entourent, aux crevasses qui se fondent dans le blanc de l’environnement mais sauf si la tempête devient hurlante et le froid mordant, tes chances de survie sont réelles et donnent à ta vie cette petite dose d’adrénaline qui remonte ta colonne vertébrale et qui inonde tes sens.

Ce dimanche, dans ce magnifique haut Val ferret en direction de la pointe de Combette, c’était Noël avant l’heure. Même si j’ai dû tracer 1000 m sur 1200 j’ai pu constater une fois de plus que la montagne pardonne.  Je crois que c’était Messmer qui disait que la montagne n’était pas belle mais dangereuse… OUI presque d’accord avec lui mais j’ai tellement vu de miracle en montagne qu’elles devraient toutes s’appeler « Lourdes »

 

4 Britishs qui me dépassent comme des boulets de canon, casqués comme Ben-Hur sur son char et me disent qu’ils vont faire le Grand Golliat avec un sourire de champion du monde de freeride gonflés à l'hélium.

Me voilà dubitatif… Il y a déjà plusieurs minutes que de grands Vraoums m’entourent de failles impromptues. J’avais déjà renoncé dans ma tête à descendre le couloir Nord du Grand Six Blanc à cause de ces cassures qui ressemblent pas mal à des champs de mines entre Kiev et Moscou.

En principe je me la coince mais je n’ai pas put retenir mon sourcil de partir aux fraises !  Les spécialistes du chiken pie et de la sauce à l’orange sur rosbeaf me firent un grand smile et partirent  d’un pas shakespeare-rien rejoindre l’oracle de leur saison. Le premier descend traverser le ruisseau qui coupe sa route décidée et là… grand méchant, je me retiens franchement de lui dire que ce n’est pas une bonne idée !

Badaboum, la neige cède sous son poids et il finit chiken mouillé jusqu’aux cuisses. Ses three potes lui sauvent sa journée et le remontant presto rejoindre la neige ferme. C’est là que le miracle de la montagne sonne le gong de la chance. Après de multiples jurons et une panoplie de hamburgers à la gelée de fraise et foie gras, ils décident de redescendre faire le plein de leur Range Rover… OUF me revoici seul au monde et unique responsable de mon destin…

 

5 minutes après, le brouillard m’investi gentiment, froidement, sans prévenir. Gèle ma barbe de 2 jours et mes sourcils en broussaille.  Brouille ma vue et hypothétique mon but. Même avec une application pour ne pas me perdre, il me faut aussi rester vigilant sur le parcours qui slalome entre les plaques à vent et qui ne demandent qu’à gaver mes naseaux de blanche poudreuse.

Le temps disparaît de ce monde, les minutes filent se perdre dans les gouttelettes en suspension et je retrouve enfin cet état qui m’inspire tant.

J’aime la montagne pour ce qu’elle m’apporte de plus brut. De plus sauvage et de plus enrichissant. Le brouillard entraine la focalisation de mes décisions et j’avoue humblement adorer ces instants.

Les deux heures qui suivent resteront une image privilégiée de cet hiver naissant… et cerise sur le gâteau, 150 mètres avant le sommet le point de rosée permettra aux gouttes de s’évaporer dans l’atmosphère.

Et un trou genevois (de bleu, de bleu) apparaîtra dans les nuages qui enveloppent le sommet de la pointe de Combette.

Une harassante journée qui restera gravée sur les tables de ma vie.

 

A plus.

Sommet
Sommet