4 février à la recherche du ciel sur le glacier de Boveire

 

J'arrive au pont de Boveire sous une neige éparse et virevoltante, celle qui ne mouille pas jusqu'à ce que les gouttes te tombent sur le nez et que tu t'aperçois que tu es trempé de partout. Je traverse le torrent d'Allèves pour passer en rive droite. Le brouillard rempli complètement le vallon du Ritord, au pied de la face Nord du Bonhomme du Tsappi. La trace qui m'a guidé jusque-là file en direction de la pointe de Toule.

Je suis content de me retrouver seul, et déçu de perdre cette trace qui m'aurait grandement facilité l'ascension.

Je longe le ruisseau qui malgré le froid continue inlassablement de descendre dans la vallée en se frayant un passage. Il serpente entre les cailloux et la glace, rien ne l'arrête. Il creuse des tunnels sous la neige quand il le faut, détourne les moraines et file sa vie au plus court.

Le torrent vient du glacier de Boveire, et un glacier ça vit hors saison, à son rythme. Cette eau provient de la fonte estivale 2022, elle a mis du temps à retrouver sa liberté,  elle a certainement passé une partie de l'automne à se prélasser dans un lac sous-glaciaire avant de déborder vers la vallée.

Je pénètre dans le stratus comme on rentre dans une forêt fantôme, les ombres deviennent sombres et l'horizon s'arrête à quelques dizaines de mètres. Je connais relativement bien le vallon même si cela fait bien 2 ans que je n'y suis pas revenu.

2 Tétras lyre me passent sur la tête à la vitesse d'un cheval au galop et m'éjecte de mes pensées léthargiques.

Je trace dans un carton fragile et presque humide. À ma gauche l'ancienne moraine me guide en direction du glacier. Je passe en mode montagne… et pousse le curseur de ma concentration vers le haut.

A plus de 2000 m,  les quelques petits sapins que je croise encore s'estompent et s'évaporent dans cet univers de gouttelettes en suspension.  Je retrouve cette sensation privilégiée avec cet environnement restreint qui m'entoure.

Après une demi-heure dans cette soupe de brouillard, un doute m'envahit… finalement je suis ou ? Je ne vois pas la paroi Ouest du Mérignier qui devrait être à ma droite, Je ne croise que quelques cailloux inconnus et je me demande même si la pente va dans la bonne direction.

Mon cerveau me joue des tours, j'en suis presque certain, mais au bout d'un moment les doutent prennent de plus en plus de place et je perds de mon assurance. Je sors mon téléphone et ouvre mon application whiterisk… Aucune carte n'apparait, j'ai bien un point bleu qui me signal ma position mais rien autour ?

Purée, j'ai changé mon portable dernièrement et les cartes téléchargées sont restées dans l'ancien. Pas de réseau pour voir la carte en direct. Me voici dans une situation imprévue qui va m'obliger à rester très vigilant… je monte encore d'un cran le curseur et continue dans cette purée froide en direction du seul point de repère qu'il me reste... le haut.

En espérant que plus c'est haut… plus il fera beau :)

 

Après un quart d'heure environ, j'entends le bruit du ruisseaux sous mes pieds, il me suffira de suivre ce ronronnement pour rejoindre le glacier de Boveire. Une ombre apparait timidement à ma droite, la paroi du Mérignier à n'en presque pas douter.

Je continue de tracer sur le ruisseau  dans une neige qui devient plus légère. Je plante mon bâton et il part au fond… oups! Un mouvement de plus et je risque de tomber dans le torrent sous mes pieds. Dans ces cas, on parle de sueurs froides… j'aimerais plutôt parler de sueurs chaudes, parce que je sens perler les gouttes de transpirations sous mes aisselles.

Je me dégage de cette position très inconfortable et rêve de visibilité.

Je dois tourner à droite pour rejoindre le glacier, je n'entends plus le ruisseau et ne distingue plus le Mérignier non plus.  Le vallon s'espace et je suis perdu dans ce coton blanc. Je connais parfaitement la topologie du coin, j'en suis certain, mais cela fait plus d'une heure et demie que je vague et divague dans cette onde doucereuse.

Zing… un message sur mon portable et je saute sur mon écran,  du réseau veut dire une carte !

L'appli SLF est beaucoup trop lourde pour espérer voir mon chemin.

Mon application Wikiloc est plus réactive, je vois enfin ou je suis… et je suis presque ou je pensais enfin être… enfin presque, mais pas trop loin et pourtant pas si près non plus... ça dépend du point de vue mais comme il y en a pas... de vue ! je me contente du point.

10 minutes après, je vois le premier sérac du front de glacier. Je bloque mon curseur au niveau max et je m'engage  en rive gauche. Cela fait 3h30 que je suis parti de Bourg St Pierre.

Le brouillard montre des signes de faiblesses et je pense avoir plus de 100 m de visi devant moi. Tout s'arrange, je suis en forme, j'ai 1000 m de déniv derrière moi et presque la moitié de fait. Mes bottes sont remplies à environ 50% (en principe quand mes bottes sont pleines, je fais demi-tour)

Le glacier devant moi reste un point d'interrogation en ce qui concerne les crevasses à venir mais il me reste environ 400 m. sans trop de risque.  Je continue au plus près de la pente pour ne pas être trop sur le glacier.

J'entrevois une tête d'épingle bleue dans ce enchevêtrement de stratus, Une belle bouffée de bise pousse cette mousse blanche et opaque par-delà du vallon.  Je vois le sommet du Mérignier et distingue presque l'ombre du Ritord.

La trace devient pénible dans une neige soufflée et changeante, la pente devient plus raide et j'aligne les conversions en amont d'une paroi lugubre. La combe en dessus de moi est bien remplie, 2 vroums me confirment qu'il n'y a aucun doute à avoir, si je m'aventure dans une pente à plus de 30°, c'est craignos. Mon appli SLF me manque cruellement, il m'est arrivé de tracer un passage juste en tenant compte des couleurs de pente sur l'appli. Je devrais me fier à ma propre expérience, tout en sachant que si je suis encore vivant, mon expérience est forcément biaisée.

je contourne une pente plus raide sur 50 mètres mais il faut traverser cette combe pour déboucher sur le haut glacier de Boveire.  Dans ces moments, je parle à haute voix tout seul en pesant toutes les données que j'ai à ma dispo.  Il me faut  environ 5 minutes pour traverser cette combe, mais j'ai 1400 m dans mes bottes remplies aux 3/4, Est-ce que je dois passer lentement pour me faire le plus léger possible ou au contraire mettre le turbo pour y être le moins longtemps possible ?  Cette neige soufflée est-elle vieille ou récente ?  Qu'y a-t-il en dessous de cette surface ? Degré de pente ? Renoncer serait certainement plus sage. 

Je choisi l'option "escargot pressé" pour traverser cette combe, j'enclenche ma gopro pour la postérité qui saura me juger... et je n'ai aucun doute sur la sentence.

Je continue sur le glacier en direction  du col de Boveire, le ciel apparaît comme dans un rêve.

Les fortes rafales de vent du Nord traversent le glacier dans des tourbillons de fin du monde.

Le temps s'arrête, l'image est magique, je reste coi, le soleil pâle et froid, surréaliste, apocalyptique et d'un autre monde, sans vie humaine possible. Le stratus qui remonte la face Sud du Ritord est démembré, catapulté et soufflé par le vent du Nord  quand il veut passer par dessus le sommet.

Le glacier devant moi me semble interminable, les crevasses invisibles m'effrayent plus profondément qu'un passage de combe. Trop de temps sous stress, trop d'émotions, trop de concentration, trop de trop. Je craque...

Je préfère renoncer.

Si j'ai encore une corde à améliorer dans l'approche alpinistique en solo, c'est clairement la volonté, plus d'énergie pour aller plus loin et d'analyse intelligente de la situation.

 

j'ai regretté cette décision moins de 100 mètres plus bas dans la descente. Il me re-faudra 5h30 d'effort pour revenir terminer cette ascension en solo. (que j'ai déjà faite en 2018)

J'étais à moins de 2 heures du sommet… quel con ! Mes bottes n'étaient même pas pleines !

trace GPS sur Wikiloc

Vidéo