21 septembre 2023.

 

En moins de 5 minutes la vallée d'Otemma s'obscurci et se recroqueville sur elle même dans l'attente de la colère du foehn. Du silence total, le changement est brutal.

Les rafales désorganisées et agressives terrorisent toutes vies encore actives dans l'air et sur terre, même les chamois d'habitude imperturbables perdent leur dignité avant la tempête et se réfugient sous le vent d'un  promontoire. 

Je regarde le ciel avec appréhension, les nuages défilent sans s'arrêter en direction du Nord. Le vent du Sud s'impatiente, montre ses muscles et ouvre grand sa gueule noire et humide. Les nuages qu'il transporte passent du gris foncés au noir et lèchent le sommet de l'Aouille Tseuque violemment.

 

Les premières gouttes volent sans toucher le sol, au loin le mur arrive dans un rideau compacte et inquiétant. J'écoute le vent bourdonner en dessus des cimes à la manière d'une basse lancinante et monotone. Je sens le cadavre d'une charogne au loin qui s'amplifie avec l'arrivée des rafales humides.

 

Je suis tout petit sur le glacier, surpris, victime solitaire de la météo, je raffole de l'instant mais la peur me tord l'estomac.

Il me reste deux bonnes heures de marche avant de rejoindre la prise d'eau et sa grotte pour m'abriter. 

Je rentre ma tête dans mon capuchon, enfile mes gants et m'efforce d'accélérer le pas sans me précipiter. J'apprécie cette fin de journée comme un témoin et acteur privilégié. J'adore ces montagnes et m'y sens bien, cette vallée menaçante et obscure me procure un sentiment de vulnérabilité qui m'expose toute la puissance du monde et j'adore ça.

 

La glace craque sous chacun de mes pas dans une symphonie lancinante, j'entends le glacier souffrir, le cancer ronge ses entrailles, use sa vieille peaux déjà mal en point.  je sais que sa fin est proche et je culpabilise de me sentir aussi vulnérable face au foehn, quand je l'entends mourir pour de vrai !

 

Le vent joue une musique morbide en pénétrant dans les sous-sols glaciaires par des vieilles crevasses noires et sans fond. Les fantômes ressurgissent à la surface, poussés par la colère du monde. Cela me fait penser au souffle salé et mouillé d'une tempête en mer à part qu'ici, c'est le sable qui gifle mon visage. Je suis incapable de savoir si les gouttes qui tombent de mes joues sont des larmes ou de la pluie.

 

Le temps a passé trop vite, pourtant plus de 20'000 ans ont passé, c'était hier, Le glacier d'Otemma n'a pas eu le temps d'apprécier le froid, pas eu le temps de s'occuper de ses voisins, pas eu le temps de regarder la neige tomber, pas eu le temps de dire merci...     Et maintenant il regarde passer sa fin de vie lente et désolante, moribonde et morne. C'est à la fin du jeux que tu comprends que tu n'as pas fait tout juste !

  

Il est seul dans le vallon. Foutons lui la paix, laissons le crever dans la douleur du temps qui passe.

 

2022  a été une fournaise, hiver sec et chaud, printemps insistant, été interminable et aride, l'automne  était le coup de grâce.

L'espoir je l'ai eu, j'y ai cru, j'me suis dit...   une année de plus comme celle passée, c'est impossible, la prévalence d'un hiver supplémentaire sec et chaud doit tourner autour de zéro... mais on l'a eu. Mortel...

2023 était à l'image de 2022, le zéro degré a battu tous les records et un interminable été indien arrive à nos portes avec le vent du Sud ouest chargé de poussières et de chaleur en montagne.

En 2023, le glacier a perdu entre 3,80 et 5.60 mètres d'épaisseur selon les piquets placés par L'EPFL, la longueur est plus difficile à évaluer mais je l'estime à environ 20 - 30 mètres.

 

Son site d'accumulation, le plateau de Charmotane à 3000 mètres est vide, gris comme jamais pour un début septembre. Zéro accumulation depuis au moins 2 ans. Je rêvais d'un hiver de tempêtes de Nord ouest, celles qui font danser, qui remplissent le corps des glaciers. Ses crevasses attendaient la gueule ouverte une neige froide et bienveillante... qui n'est jamais venue.

Otemma rêve de danser dans le froid, de copuler avec une neige virevoltante qui lui fait tourner la tête, il aime s'abandonner à l'hiver, il aime ouvrir son corps jusqu'à l'orgasme, enivré par les rafales de vent du Nord qui caressent ses sens...

 

Rien de ça, mais cet hiver sera le bon, et je reviendrais l'année prochaine voir son blanc plutôt que son gris... enfin je l'espère.

 

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