Mont Gelé (le vrai) 3518 m.

 

La passion-montagne en pleine ambivalence climatique.

C’est dans un décor de carte postale que je poursuis ma quête de tous les sommets du Val de Bagnes. Une des plus grandes communes de Suisse mine de rien, et son principal atout reste des sommets sauvages et relativement peut courus.

Perdu tout au fond du haut Val de Bagnes, le vallon d’Ayace (ou crête sèche) coche toutes les cases de mon EMS préféré.

Comme tout lieu idyllique, le lac du vallon, reste un oasis de calme et de tranquillité. Il fait face à la Tsouma des Boucs et au Bec d’Epicoune, avec dans son dos la pointe d’Ayace, plus verte et moins sensible au temps géologique.

Le lac légèrement en retrait du carrefour du vallon d’Otemma, à 2550 mètres a pris naissance lors du recul de l’ancien glacier de Crête Sèche. Le glacier en retrait depuis 1850 a laissé la place à cette boursouflure morainique couverte de génépi blanc.

C’est sur le rivage du lac que je plante ma tente ce vendredi soir après le boulot. Juste le temps de me faire une petite fondue avant la nuit qui commence à tomber plus vite avec l’arrivée de cette fin d’été.

Pas une âme à des kilomètres, un calme absolu et enchanteur ou le temps ralenti au rythme particulier de la rotation du soleil. Ici pas de montre ni de rendez-vous. Le temps est plus lent, plus vivant, plus prenant, plus serein.

Peut être finalement, comme la vie d’un enfant. Ou comme les dernières minutes de vie d’un vieux bouquetin qui se couche une dernière fois en regardant le Grand Combin pour mourir.

Pas de réseau, pas de mauvaises nouvelles, tu commences à prendre le temps d’oublier la vie d’en bas en regardant la clarté naissante du lever de lune derrière les aiguilles des Boucs. Les étoiles sont plus grandes, plus lumineuses et scintillent au rythme du vent d’altitude pour te donner encore plus de force.

La nuit s’annonce pourtant chaotique. Les torrents rugissent de partout, la brise frappe les parois de ma tente violemment, le léger dévers rend ma nuit glissante et la petite motte que je n’ai pas enlevée fait de mon vieux dos une marmelade.

Inutile d’essayer de dormir plus longtemps, au lever du jour, je me fais un petit riz au lait lyophilisé qui me va à merveille. J’ai pas la grande forme et la motivation en pâti.

A 6h30, je charge mon sac à dos sans grande énergie et je me dirige péniblement plein Sud en direction du col de Crête Sèche. Mon pas ressemble franchement à celui d’un résident d’EMS qui essaye de rejoindre son fauteuil à 2 mètres de son lit dans un effort surhumain.

Après une heure de souffrances et de doutes, le rythme devient raisonnable et la montagne devient plus belle et accueillante.

Au col, le soleil de l’Italie me prend de toute sa fusion climatique apocalyptique et j’égrène les couches. Une brève redescente dans le vallon et je prends la voie hivernale pour monter en direction du glacier de l’Aroletta. Itinéraire fortement exposé aux chutes de pierre, j’ai l’impression d’être la quille d’un bowling qui attend l’arrivée des joueurs.

 

Ancien plateau glacière, 2 petits lacs se sont formés pour donner un peu de couleurs dans cet endroit magnifique, je croise les deux premières personnes de la journée en montant au col du Mont Gelé à 3144 mètres d’altitude. Cela fait 3h30 que je suis parti et la soif devient insistante malgré le remplissage de ma gourde à tous les ruisseaux possibles.

 

Au col, j’étudie le cheminement possible pour affronter le sommet de la meilleure des façons mais j’hésite franchement entre deux variantes. Je demande mon chemin à un bel italien montagnard, musclé, avec la tête et le look de Claude Rémy des années 70-80 qui redescend du sommet piolet à la main et crampons aux pieds. Il m’envoie en direction du col de la Balme !?  C’est pas la première fois que je me fie à des locaux mais là je vois bien qu’il y a un lézard.  L’arrête entre le col de Balme et le sommet me paraît infranchissable en solo, mais d’expérience ce qui me paraît infranchissable de loin peut s’avérer étrangement facile quand on est sur place. Donc je décide de suivre les conseils du Messmer des cimes en pleine déscension du K2.  ( Larousse a certainement oublié le mot)

Comme je n’ai pas pris mes crampons pour affronter le terrible glacier du Mont Gelé en face Sud, je longe la rive gauche au pied du Mont de la Balme. Exposé aux chutes de pierres qui jalonne le glacier de partout. Plusieurs crevasses sont présentes à mon grand étonnement.  Les chutes de pierres ont l’avantage de laisser beaucoup de résidus de sables sur la glace et favorisent une ascension légère et en sécurité.

Arrivé au col, il me reste environ 150 mètres sur des rochers relativement bien dans leurs peaux et pas craignos du tout. Malheureusement je devrais me contenter de l’antécime à 3442 mètres. L’arrête est hors de ma portée techniquement et clairement tout le monde s’en contente.  En fait, le chemin normal traverse le glacier pour attaquer le sommet par-dessous.

La vue gagnée avec ma sueur reste à la hauteur de mon imagination. La clarté du ciel, les géants des Alpes, l’éternel stratus sur l’Italie. La vue du plus bas depuis tout en haut, Le Vélan en pleine lumière et le Mont Blanc toujours aussi blanc.

Il est 11h30 et les chutes de pierre résonnent de partout ! Etrangement les principales chutes de pierre sont sur les faces Nord. Certainement que le pergélisol a déjà fondu depuis belle lurette sur les faces Sud.

Les bowlings ayants ouverts, j’ai renoncé à mon raccourci dans la descente en préférant le chemin normal sur Crête sèche. Malheureusement le détour n’en vaut pas la chandelle, j’étais aussi exposé aux chutes de pierre et je dois me taper 300 m. de déniv pour remonter au col sous une chaleur de Sahara, sans eau et à bout de force.  La longue descente pour rejoindre mon bivouac sera un peu plus rapide mais j’arrive à 16h30 à ma tente. Je bois la moitié du lac pour ne pas tomber en poussière mais suis obligé de laisser un peu d’eau aux truites prisonnières d’un paradis qu’elles n’ont pas demandé.

Tout cassé, je plie ma tente après une rapide sieste et me tape encore ¾ d’heure de vélo pour rejoindre Mauvoisin.

 

Il est difficile d’expliquer cette passion qui dévore.

La beauté de l’environnement, la solitude ou la sérénité. Peut être aussi la prise de risque, l’effort, la fierté d’arriver au sommet. L’ouverture sur un ciel limpide. Les connaissances acquises de la montagne qui sont un enrichissement personnel fabuleux, la préparation des courses les jours avant ?

 

Toujours est-il qu’après une course comme celle-là, je me sens vide et pas pressé d’y retourner. Pour être franc j’en ai vraiment chié lors du retour, le lendemain je marche comme un pingouin et je dois bien avouer que l’hiver me va nettement mieux.

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