Petit Combin à la journée  le 2 mars 2022     2300m+

 

J'avais prévu deux jours sur Arolla avec des amis mais le désistement d'une personne à changé la donne au dernier moment.  Je me retrouve à 8h00 en Vaudoisie sans but... Me voici orphelin sans aventure et plutôt en forme pour la saison.

 

Comme la fondue était prévue le soir au refuge des Bouquetins (Arolla), je décide de la garder dans le sac et m'imagine manger une moitié-moitié sur un glacier quelque part !

Je démarre et me retrouve à 10h00 à Fionnay avec un sac de presque 10 kilos, j'égrène l'inutile pour une journée mais garde la fondue, mon baudrier, mon matos glacier et 2 piolets... on sait jamais.

 

En montant les 500 premiers mètres, mon cerveau travail des neurones à vitesse inversément proportionnel à mon allure, je cogite sur mon but. Grand Tavé en descendant le couloir Est qui m'est resté en travers de la gorge la dernière fois, fondue sur le glacier de Corbassière, col des Avouillons et une belle assiette à Brunet... ou petit Combin ?

je suis franchement tard pour le petit, la dernière fois, j'étais parti à 2h00 du mat de Fionnay et il est 11h30 quand j'arrive dans le torrent de Corbassière. Je croise un guide de Verbier qui me confirme que les crevasses sont bien bouchées sur le glacier mais à la vue de son regard, je comprend bien qu'il me prend pour un débile échappé des soins palliatifs de l'EMS du coin.  Ce sera le dernier humain de la journée (heureusement).  La suite dépasse gentiment le réel pour succomber à l'odyssée d'une croisade immatérielle et contemplative.

Arrivé sous la passerelle de Corbassière, j'entrevois enfin le glacier du même nom. C'est un monde qui s'ouvre ou le sauvage n'existe plus, ou seul le rêveur passionné de montagne peut décrire cet univers de neige et de glace façonné par le vent. Tantôt lisse comme la peau d'un bébé, tantôt parsemé de vagues océaniques.

Comme l'océan tu ne peux pas imaginer ce qui se cache sous sa surface, c'est un livre d'histoire du climat dans lequel tu ne sauras pas ou commencer. La mémoire du millénaire, mouvement perpétuel de l'atmosphère  solide de notre planète. Le glacier de Corbassière est un long fleuve tranquille qui déroule sa sagesse au rythme des années qui passent.

je vais déguster cette longue remontée de 4 kilomètres en me prélassant au soleil de bagnes sur cet univers de glace et d'espace. Il me faudra 1 bonne heure et demie pour arriver aux premiers séracs. Une heure qui passe beaucoup trop vite, même en ralentissant mon pas, je n'arriverais  jamais à m'aligner sur la vitesse de l'histoire. J'imagine que je vais à contre-sens du glacier qui aura mis 300 ou 400 ans pour parcourir cette même distance.

Je passe à coté des premiers séracs et des premières crevasses quand un coup de canon me sort de ma béatitude, un tout gros sérac s'effondre dans un fracas insupportable. L'ensemble de mes muscles se raidissent en cherchant la provenance de l'explosion. Mes yeux font rapidement le tour de mon horizon pour détecter le moindre signe de danger imminent. Je vois avec soulagement le nuage de neige et de glace qui s'éparpille sous le corridor.  Aucuns dangers pour ma vieille peau morte de trouille... qui peut être culpabilise d'être ici tout seul à cette heure avancée.

Bref je bifurque à droite dans le petit couloir pour monter sur le haut glacier qui alimente le plateau des Maisons Blanches, rebelotte, les séracs s'effondrent comme des petits pains en-dessous du corridor.

Mon rythme baisse d'un cran aux abords de 3'000 mètres, mais je garde un pas nonchalant qui me va bien, j'apprécie le temps qui passe et regarde le soleil voilé qui disparait derrière le Combin de Boveire, les ombres s'allongent sur le couloir du gardien. Le plaisir d'être ici compense largement la fatigue qui commence à se faire sentir.

Il me reste environ 2 kilomètres de glacier à parcourir avant le dernier col et je compte bien en profiter jusqu'au bout. 

 

Ce sera la première fois que je passe ce col à ski et sans couteaux dans une neige dure mais pas gelée.  Depuis ce fameux col qui ouvre la porte du glacier des Follats, il me restera 100 mètres de dénivelé, la traversée du glacier et une bonne demi-heure pour arriver au sommet.

La nuit tombe. La solitude m'encourage à accélérer le pas. Je suis sur un nuage, au faîte de cette journée et presque perdu dans les étages du ciel.

Les fantômes, les yétis et les crevasses sans fond agitent mon esprit. Je traverse le glacier en me demandant si je suis bien à ma place en cet instant!  En arrivant au sommet, je prends quelques photos mais le couché de soleil est enveloppé par d'épais strato-cumulus avec une belle brise frisquette. Ma fondue dans le sac attendra un peu. je me surprends à me demander ce que je fous au sommet du Petit-Combin à presque 19h00.  Je sors ma frontale pour enlever mes peaux de phoque et je me permets 2 minutes de pause avant de plier bagage.

La descente sera rude... plus de 2 heures. Je dois également avouer que je n'ai qu'à moitié apprécié la descente entre les crevasses à la pâle lumière de ma frontale.

Dans le lit de Corbassière, le torrent chuchote à mon oreille et la paix s'installe, ma concentration se relâche quelque peu, mes muscles s'évaporent et une onde de calme s'installe en moi. La fatigue m'envahit à mesure que la pression diminue.

Par cette nuit piquante et sans lune. je laisse mon esprit remonter l'en haut tout en buvant la dernière golette de ma gourde. Je chausse mes peaux de phoque une dernière fois, et ne peux m'empêcher de penser aux loups de Bagnes.

Je guette les yeux qui me guettent... mais la fatigue me guette et je vois pas d'yeux qui me guettent.

à 21h45 j'arrive à ma bagnôle en n'ayant pas mangé ma fondue ni fini ma topette de génépi. Le ciel a rempli mon corps de souvenirs et d'émotions, j'ai l'estomac vide mais le coeur plein.

Cela fait presque 12 heures que je traine mes savates au son du silence. L'ombre humaine qui passe sous le réverbère de Fionnay sonne la fin de mon histoire. Je lui dis bonsoir, en étant surpris de savoir encore parler la langue d'en bas.

La fatigue sera très vite oubliée  et je ne pense plus qu'à une chose... Chatouiller le Grand Combin à la journée lors d'une belle nuit bien lunée de printemps.  A plus